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Declaration on the Establishment of a New International Economic Order
General Assembly resolution 3201 (S-VI) New York, 1 May 1974
By Ahmed Mahiou
Membre de l'Institut de droit international Ancien membre et ancien président de la Commission du droit international
A. Genèse du nouvel ordre économique international
Il est assez difficile de savoir exactement qui a eu l'idée d'un « nouvel ordre économique international » (NOEI), ni quand cette expression à été lancée. En revanche, la consécration officielle de cette notion est bien datée puisqu'elle résulte de deux résolutions de l'Assemblée générale des Nations Unies (ONU) du 1er mai 1974 concernant respectivement la Déclaration concernant l’instauration d’un nouvel ordre économique international (résolution 3201 (S-VI)) et le Programme d’action concernant l’instauration d’un nouvel ordre économique international (résolution 3202 (S-VI)). Par delà cette consécration officielle, il y a un lien de filiation avec les stratégies des Nations Unies en faveur du développement lancées au début des années 1960, les débats sur le commerce international et le droit international du développement. Le NOEI témoigne avant tout de la volonté des nouveaux États issus de la décolonisation de participer effectivement à la vie internationale et, sinon de remettre en cause, du moins de réformer profondément le système économique mondial mis en place au lendemain de la seconde guerre mondiale. Ils considèrent que ce système d'inspiration libérale (représenté par le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT)) et placé sous l'hégémonie de quelques puissances occidentales, avec à leur tête les États-Unis, ne correspond plus aux nouveaux besoins. Pour tenter de le changer, ils constituent le Groupe des 77 afin de coordonner leurs positions et leurs revendications face aux pays développés. Les réserves et les critiques à l'égard de l'ordre économique libéral ont été largement inspirées par des économistes qui se sont interrogés sur l’origine du sous-développement ainsi que sur les voies et moyens pour y remédier. Le point de départ est la critique de la thèse dominante selon laquelle le sous-développement est essentiellement un problème endogène, interne aux pays concernés ; il résulterait de l'absence ou des carences et faiblesses (en cadres qualifiés, en capitaux, en technologie et en savoir-faire) qu’il convient de surmonter afin de mettre les pays concernés en position de décollage économique. Ce constat n'est sans doute pas inexact, mais il apparaît insuffisant ; pour expliquer réellement les carences et faiblesses relevées, il faut analyser leurs causes profondes qui résident essentiellement dans la structure déséquilibrée des relations économiques internationales et les rapports de domination établis en faveur des pays développés. Aussi, pour rompre ce cercle vicieux du sous-développement, il faudrait d’abord s'attaquer à ces rapports de dépendance et de domination qui empêchent les pays du Sud d’avoir une véritable stratégie de développement. C'est ainsi que se trouve lancé le débat sur l'ordre économique dominant et la nécessité de le réformer profondément ou de bouleverser les principes et règles qui le régissent. Si le débat a d'abord beaucoup préoccupé les économistes, il est également repris par les juristes qui introduisent une nouvelle approche, celle du droit international du développement, avec le mérite de prendre en considération les droits et intérêts des pays du Sud et d'ouvrir ainsi une première brèche dans l'analyse classique des problèmes du développement. Toutefois, les pays du tiers monde ont estimé que si cette approche est intéressante, elle ne va pas assez loin dans le débat et a fortiori dans l'examen des changements nécessaires de nature à répondre à leurs revendications ; ils se rallient donc à l’idée d’un NOEI au début de la décennie 1970. Le débat juridique sur le NOEI va s'inspirer de cette analyse pour avancer toute une série de propositions concernant les rapports Nord-Sud, notamment les changements à entreprendre en matière de relations internationales et de politiques de développement. Les économies du tiers monde se caractérisent par leur désarticulation et la juxtaposition de secteurs économiques séparés les uns des autres, soumis à des structures juridiques variées et éclatées, fonctionnant selon des règles qui les subordonnent aux interférences extérieures. Il convient donc que l’action internationale permette de restructurer chaque économie, de mettre en relation les différents secteurs par une articulation qui les renforce mutuellement, de créer en somme un espace économique national intégré susceptible d'être dans de meilleures conditions au lieu d’en subir seulement les effets négatifs. Pour cela, il faut commencer par maîtriser les leviers économiques et l'exploitation des richesses et ressources naturelles en mettant en œuvre des mesures telles que les nationalisations, le contrôle des investissements et la surveillance des sociétés transnationales. C'est dans ce sens que les pays du Sud vont militer, individuellement ou collectivement, en faveur d'un NOEI, en se heurtant à l'opposition des pays développés qui y voient une remise en cause radicale des règles classiques du droit international. B. La stratégie en vue d'un NOEI dans le cadre des Nations UniesDans le tiers monde, il y a eu une tendance à penser que l'amélioration de l'ordre international ne peut pas se réaliser à l'intérieur du système dominant, selon les méthodes et techniques classiques qui risquent d'entraver les tentatives de réforme. Comme l'action internationale du Groupe des 77 se radicalise, la décennie 1970 va être marquée par toute une série de réunions et de décisions qui vont préciser les revendications du Sud face au Nord. Ces efforts se déploient essentiellement au sein du système des Nations Unies, notamment l'Assemblée générale et les Commissions économiques de l'ONU en Amérique latine et en Afrique ; ils sont relayés par les groupements régionaux des pays du Sud (Mouvement des non-alignés, Organisation de l'unité africaine, Organisation des États américains, Ligue des États arabes, etc.). Leur objectif est d'asseoir les bases d'un nouvel ordre, plus équitable, oscillant entre la révision ou le bouleversement des sources, des institutions, des principes et des normes du droit international classique. Le droit international classique trouve sa source principalement dans le traité et la coutume dont la formation obéit à des procédures bien établies. Avec le droit international du développement, on s'écarte de ce schéma pour atténuer le formalisme excessif et la rigidité du traité ainsi que la lenteur de la formation de la coutume, pour privilégier d'autres règles plus souples représentées par les différents actes des organisations internationales (résolutions, déclarations, chartes, programmes, etc.), redonnant ainsi de la vigueur au débat sur le caractère obligatoire de tous ces textes. La coopération interétatique et les institutions qu'elle engendre n'existent et n'ont de sens que si elles font face au problème essentiel du moment : le sous-développement ; il y a ainsi une finalité clairement assignée aux organisations internationales et à l'aune de laquelle devrait être évaluée leur action afin d’apporter des réformes profondes dans les institutions économiques existantes ou, à défaut, de créer de nouvelles institutions pour les mettre au service du développement. Le droit international repose sur deux principes qui en constituent le socle : l’égalité et la souveraineté ; ces principes abstraits et formalistes occultent les situations réelles très inégales des États. Le mérite du NOEI est d’introduire le facteur économique et le niveau de développement dans l’analyse juridique et l’appréciation des relations entre les États ; chaque État est situé dans le contexte des échanges internationaux, en prenant en considération ses capacités et contributions. A l'ancien système de la norme unique avec des exceptions, il convient de substituer le système de la dualité des normes qui distingue entre, d’une part, les normes applicables entre les pays développés qui obéissent aux règles classiques du droit international de l’économie et, d’autre part, les normes applicables entre pays développés et pays en développement qui tentent de corriger les inégalités de développement en introduisant une inégalité compensatrice en faveur des pays du Sud. En effet, le NOEI interpelle le postulat de l'égalité juridique abstraite en le confrontant aux situations réelles et objectives qui montrent que les États ne jouent pas le même rôle dans la société internationale, puisque certains y sont fortement présents et pèsent de façon décisive sur son évolution pendant que d'autres en sont quasiment absents. Il y a ainsi une approche qui tient compte de l’équité et s’efforce de donner un contenu concret à une stratégie de développement. C. Contenu de la Déclaration et du Programme d'action relatifs au NOEILa Déclaration concernant l'instauration d'un NOEI est relativement brève puisqu'elle comporte sept paragraphes qui s'ordonnent autour du plus important d'entre eux, le paragraphe 4, qui représente d'ailleurs la moitié de la résolution. Alors que les trois premiers paragraphes établissent une sorte de constat de l'ordre international existant, caractérisé par l'écart séparant une minorité de pays développés et une majorité de pays en développement, l'insuffisante participation des pays en développement dans les activités internationales et les relations d'interdépendance économique au sein de la communauté internationale, les trois derniers paragraphes constituent un hommage aux stratégies internationales de développement et au rôle des Nations Unies dans l'établissement d'un NOEI. Le paragraphe 4 énumère une longue liste des principes devant constituer l'assise du NOEI dont on retiendra les suivants :
La Déclaration est accompagnée d'un Programme d'action concernant l'instauration d'un NOEI. Il s'agit d'un texte beaucoup plus long et détaillé montrant la volonté des pays en développement d'aller au-delà d'une simple proclamation – aussi solennelle soit-elle – pour énoncer en quelque sorte les voies et moyens devant permettre de rendre effective la Déclaration sur le NOEI par des mesures d'application. On se limitera ici à indiquer les principaux domaines où des réformes devraient intervenir le plus rapidement possible :
D. Le bilan du NOEI Bien que la genèse du NOEI remonte à près de quarante années, les appréciations sur son bilan sont partagées. En simplifiant, on peut identifier deux courants opposés : l'un glorifie l'apport du NOEI en mettant l'accent sur les revendications des pays du tiers-monde et les quelques progrès obtenus dans les relations économiques internationales ; l'autre ne retient que les échecs d'une stratégie jugée dangereuse pour le libéralisme économique et la prédominance occidentale. En fait, à l'image de toute initiative internationale d'envergure, le NOEI revêt des aspects contrastés. Si certains changements importants en découlent et sont repérables, d'autres le sont moins et se sont souvent dilués dans l'ensemble des évolutions qui ont marqué la société internationale pendant cette période. Par ailleurs, l'apport du NOEI est malaisé à identifier globalement et, au demeurant, les États l'apprécient à la lumière des avantages et inconvénients qui en sont les conséquences pour chacun d’entre eux. Si les aspects positifs sont incontestables, la stratégie n’a pas été également bénéfique pour tout le monde ; elle a mis en relief les clivages ou divisions qui caractérisent les membres du Groupe des 77 car, derrière l'apparente unité de leurs revendications, il y a d’importantes différences de situation qui appellent des changements appropriés. Parmi les principaux changements institutionnels significatifs résultant de la revendication pour un NOEI, on peut citer les suivants :
Si le NOEI est loin d'avoir eu des effets uniformes sur l'ensemble du droit international et sur l’ensemble des pays en développement, il a cependant mobilisé ces derniers pour obtenir des réformes et concessions, généralement sous la forme d’un grand nombre de résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU qui se sont poursuivies jusqu'à la fin des années 1980 (résolution 3281 (XXIX) du 12 décembre 1974 sur la Charte des droits et devoirs économiques des États, résolution 3362 (S-VII) du 16 septembre 1975 sur le développement et la coopération économique internationale, résolution 34/150 du 17 décembre 1979 sur les principes du NOEI). Toutefois, au cours de la décennie 1980, les pays en développement n’ont pas réussi à faire prévaloir la reconnaissance du droit au développement (résolution 41/128 du 4 décembre 1986) qui aurait pu donner au NOEI le fondement juridique qui lui manquait ; de même, ils n’ont pas réussi à obtenir un système international de contrôle de l’activité des sociétés transnationales. Le débat sur le NOEI n’est pas définitivement clos ; il est sous-jacent derrière certaines préoccupations de l’ONU qui tente parfois de le réactiver, sous d’autres formes, en le liant notamment aux évolutions actuelles et aux controverses soulevées par la mondialisation. Toutefois, la référence à une vision radicale s’est estompée et la stratégie des pays du Sud s’oriente vers des préoccupations plus sectorielles et plus concrètes. La diversité des situations au sein des pays du Sud, le souci de s’insérer le mieux possible dans les courants d’échanges internationaux et la prédominance du libéralisme économique font que le débat sur les relations économiques internationales a perdu de sa virulence idéologique. L’approche est devenue plus pragmatique en vue d’apporter des corrections au cas par cas aux difficultés des pays en développement plutôt que de rechercher une solution globale et abstraite aux inégalités économiques internationales. Enfin, il trouve aussi une certaine prolongation dans le débat actuel sur le développement durable qui est, à bien des égards, la conséquence des rapports désormais étroits entre l'environnement et le développement. This Introductory Note was written in August 2010.
Références
Documents Résolution 3202 (S-VI) du 1er mai 1974 (Programme d’action concernant l’instauration d’un nouvel ordre économique international). Résolution 3281 (XXIX) du 12 décembre 1974 (Charte des droits et devoirs économiques des Etats). Résolution 3362 (S-VII) du 16 septembre 1975 (Développement et coopération économique internationale). Résolution 34/150 du 17 décembre 1979 (Systématisation et développement progressif des principes et normes du droit économique international, eu égard en particulier aux aspects juridiques du nouvel ordre économique international). Résolution 41/128 du 4 décembre 1986 (Déclaration sur le droit au développement).
The issue of the establishment of a new international economic order was first raised in a political declaration adopted at the Fourth Conference of Heads of State or Government of Non-Aligned Countries, held at Algiers from 5 to 9 September 1973. The declaration invited the Secretary-General of the United Nations to convene a sixth special session of the General Assembly which would be devoted to development and international economic cooperation. By communications of 9 October 1973 and 22 November 1973, Algeria, on behalf of the Group of Non-Aligned Countries, transmitted the documents of the Conference to the Secretary-General, requesting him to issue them as an official document of the General Assembly under several items of its agenda (A/9330). At the twenty-eighth session of the General Assembly, the declaration was referred to the Second Committee for consideration under the agenda item relating to the report of the Economic and Social Council (see report of the Second Committee to the General Assembly, A/9400). On 5 December 1973, the Second Committee adopted a joint draft resolution submitted by 87 Member States which called for the convening of a special session of the Assembly devoted to development and international economic cooperation (A.C.2/L.1322 and Rev.1). On 14 December 1973, in its report to the General Assembly (A/9400), the Second Committee recommended that the Assembly adopt a resolution to this effect. On 17 December 1973, the General Assembly adopted, by 123 votes to none, resolution 3172 (XXVIII) which accordingly called for the convening of a special session of the Assembly devoted to development and international economic cooperation. The General Assembly further requested the Economic and Social Council to prepare the agenda for that session on the basis of a report of the Secretary-General. However, on 30 January 1974, in a letter to the Secretary-General (A/9541), Algeria (on behalf of the Group of Non-Aligned Countries) requested the Secretary-General to initiate the appropriate procedure for the convening of a special session of the General Assembly to consider the item entitled “Study of the problems of raw materials and development”. On 25 February 1974, the Secretary-General sent a note verbale to the Permanent Representatives to the United Nations (A/9542), informing them that the required majority had concurred in this request, and that, as agreed by the Chairmen of the five regional groups, the special session would be convened as of 9 April 1974. On the first day of the special session, the General Assembly established the Ad Hoc Committee of the Sixth Special Session (A/PV.2207). On 11 April 1974, the Assembly allocated to the Ad Hoc Committee the consideration of the agenda item entitled “Study of the problems of raw materials and development” (A/PV.2210). The Ad Hoc Committee held 21 meetings from 10 April to 1 May 1974. On 30 April 1974, 94 Member States (on behalf of the Group of Non-Aligned Countries) submitted a joint draft resolution to the Committee entitled “Declaration on the Establishment of a New International Economic Order” (A/AC.166/L.47). On the same day, these Member States also submitted a joint draft resolution for a programme of action on the establishment of a new international economic order (A/AC.166/L.48). On 1 May 1974, following some debate, the Chairman of the Committee introduced two revised draft resolutions (A/AC.166/L.50 and 51). On the same day, the Committee adopted these draft resolutions without a vote and recommended that the General Assembly adopt two resolutions to this effect (see Report of the Ad Hoc Committee, A/9556). On 1 May 1974, the draft resolutions were adopted, without a vote, as General Assembly resolutions 3201 (S-VI) and 3202 (S-VI). Text of the resolution Selected preparatory documents Letter dated 22 November 1973 from the Permanent Representative of Algeria to the United Nations addressed to the Secretary-General, transmitting documents of the Fourth Conference of Heads of State or Government of Non-Aligned Countries, held at Algiers from 5 to 9 September 1973 (A/9330)
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